80 ans de la Libération – Massacres sur la Serre et en Thiérache
A la fin du mois d’août 1944, de nombreuses villes de l’Aisne ont déjà été libérées et les forces d’occupation reculent inexorablement vers le nord. L’espoir et l’enthousiasme sont au plus haut pour les populations, mais cette Libération en marche va pourtant être le cadre des pires exactions allemandes.
Dans la commune de Tavaux, comme partout ailleurs en cette fin août 1944, on attend l’arrivée des Américains. La liberté est imminente ! Mais comme l’explique l’historien Alain Nice, auteur de plusieurs ouvrages sur la Résistance et sur ces événements en particulier « La Résistance a reçu des ordres : ils doivent attaquer et harceler l’ennemi pour désorganiser sa retraite. En plus de cela, on leur a parachuté des armes deux jours auparavant et ils n’ont qu’une envie : s’en servir. »
Portrait de Pierre Maujean
L’enchaînement des événements a été décrit par le lieutenant FFI Pierre Maujean qui dirigeait la cellule locale : à 11 heures, on lui signale quelques allemands désarmés dans une ferme isolée, un petit groupe part pour aller les capturer. En passant sur la place du village, ils sont vus par trois allemands qui sortent du café et qui ouvrent aussitôt le feu. Ce sont des SS. L’un d’eux est grièvement blessé par Maujean, les deux autres s’enfuient avec les FFI à leurs trousses. Une voiture amphibie occupée par deux officiers SS survient pendant cette poursuite, ils sont tués dans un échange de tir avec le résistant Arthur Clémensart. De son côté, Pierre Maujean tente d’amener son prisonnier blessé jusque chez lui pour le soigner. Il est vu à ce moment par trois Allemands à bord d’un camion chargé d’essence. Le prisonnier fait des signes à ses compatriotes qui descendent de leur véhicule et ouvrent le feu. Maujean riposte et les met en fuite.
Monument de Tavaux et Pontséricourt
Les représailles vont être immédiates. Dans l’après-midi, le village est bouclé par des chars Tigre, des automitrailleuses et des camions de troupes de deux divisions SS, Adolph Hitler et Hitlerjugend. Les maisons sont incendiées les unes après les autres, 86 au total. Les SS tirent sur tout ce qui bouge sans distinction. Ils jettent des grenades dans les caves où se sont réfugiés certains habitants ; quatre d’entre eux, dont deux enfants de 6 et 11 ans, sont froidement abattus d’une balle dans la tête. 20 civils sont tués ce jour-là.
Dans son rapport, le lieutenant Maujean pointe le fait que ce terrible massacre se déroule alors que les troupes américaines sont à Marle, à quelques kilomètres de là. Mais les chars américains n’entreront dans le village que le lendemain soir, une fois la localité entièrement libérée par les résistants du secteur.
Consultez le témoignage vidéo de Madame Georgette Boulande, habitante de Tavaux
Dans leur fuite devant les troupes alliées, les deux divisions SS vont continuer à semer terreur et mort. Le 31 août, à Hary, à Braye en Thiérache ainsi qu’au hameau du Val Saint Pierre et de la Correrie, les SS pillent et incendient les maisons. Une jeune femme est abattue, et un homme grièvement blessé par balles. En fin d’après-midi, ils font irruption dans le village de Plomion. Au prétexte qu’ils ont essuyé des tirs au lieu-dit La Comtesse, à deux kilomètres de là, ils entrent dans les maisons pour les piller puis les incendier. Mais cela ne leur suffit pas. Ils cherchent alors les hommes du village. 14 malheureux sont réunis, le plus jeune a 16 ans, le plus âgé 72. Ils sont amenés dans une pâture à la sortie du bourg. Là, cachées derrière une haie, deux habitantes du village, Mesdames Delaby et Boutillier assistent impuissantes à leur exécution : une rafale de mitraillette dans les jambes, une deuxième en travers du corps. Les malheureuses victimes sont ensuite achevées à la baïonnette et à coups de crosses sur le crâne.
Monument aux fusillés de Plomion
Les témoignages croisés de plusieurs observateurs indiquent que les tueurs faisaient partie des divisions Adolf Hitler et Hitlerjugend mais l’identité des officiers reste incertaine. Cependant, un élément consigné par le capitaine Couraux de la gendarmerie de Vervins atteste de la présence du major Kurt Meyer dans le secteur, l’auteur du rapport avance qu’il était très probablement l’officier commandant les opérations : le lendemain du massacre, le 1er septembre, l’officier SS se fait remettre des médicaments à la pharmacie Lemaire de Vervins et signe la facture à la demande du pharmacien. Son véhicule porte une troublante inscription à la craie sur la carrosserie, indiquant “Plomion 31-8-1944“. Capturé par des résistant belges une semaine plus tard, le major Meyer sera jugé en 1945 par une cour martiale canadienne pour des crimes de guerre impliquant l’exécution de 18 prisonniers canadiens, mais son éventuel rôle dans les événements survenus en Thiérache n’est pas mentionné. Il est condamné à mort, mais voit sa peine commuée en prison à perpétuité. Il est pourtant libéré pour bonne conduite en 1954 et rentre en Allemagne. Il succombera à une crise cardiaque en 1961 à l’âge de 51 ans.
2 septembre 1944 : les hameaux du Gard et de la Junière à feu et à sang
La série noire continue entre Boué, Étreux et La Neuville-lès-Dorengt, toujours selon le même schéma : les résistants mènent des attaques et les SS se vengent sur les populations civiles.
Stèle du monument d'Etreux
Le 1er septembre, une colonne allemande est prise à partie au passage à niveau de Boué, deux allemands sont blessés, deux autres sont tués et un camion est mis hors d’usage par les résistants avant d’être caché dans une grange. Le lendemain, les Allemands encerclent Etreux et leurs intentions ne sont visiblement pas pacifiques. Mais c’est la découverte du camion caché qui va déclencher leur fureur. À partir de 9 heures, le hameau du Gard est mis à sac. De nombreux habitants sont abattus, certains massacrés à la baïonnette tandis que des maisons sont incendiées à la grenade. Positionné à La Junière, un autre groupe de SS se saisit de 9 hommes, dont l’instituteur, et les passe par les armes tandis que leurs maisons sont en flamme. Avec 36 victimes civiles identifiées, le massacre du Gard d’Étreux et de la Junière est le plus important de ce déchainement de violence.