Né en 1930 à Leipzig en Allemagne, Haïm Kern se réfugie en France avec sa famille en 1933 pour échapper aux persécutions antisémites des nazis.
Établie dans le Valenciennois, la famille doit fuir l’avancée des troupes allemandes en 1940 avant d’être arrêtée et internée au camp de Sept-Saulx, appelé le camp de Judes dans le Tarn. Les conditions de vie sont très difficiles, à l'instar de nombreux camps de réfugiés pour étrangers indésirables ou apatrides. Une vie sociale, culturelle et politique naît cependant à l'intérieur du camp. Haïm Kern demeurait l’un des derniers témoins de la vie artistique de ce camp. A l’été 1942, les juifs du camp sont déportés pour Auschwitz, via Drancy, de la gare de Caussade, où Haïm Kern est confié à une famille qui parvient à cacher l’enfant.
Caché pendant le reste de la guerre dans plusieurs familles françaises sous un faux nom, il apprendra après la guerre l’assassinat de sa mère au camp d’Auschwitz-Birkenau, dont il chérira le souvenir toute sa vie. Symbole de ce destin tragique, il réalise sa toute première sculpture avec la glaise ramassée derrière les chenilles d’un char allemand en retraite en 1944.
Après avoir fréquenté plusieurs centres de formation parisiens à partir de 1954 dont l’Ecole nationale des Beaux-arts de Paris et l’Académie de la Chaumière, Haïm Kern travaille dans l’atelier de Georges Visat (1910-2001), imprimeur et éditeur d’artistes célèbres, tels que Max Ernst (1891-1975), Hans Bellmer (1902-1975) et Roberto Matta (1911-2002). En 1971, il obtient une bourse de l’Etat genevois, qui lui permet de travailler au Centre genevois de gravure contemporaine que dirige alors Daniel Divorne. L’artiste réalise dés lors des collages, peintures et estampes, qui sont présentés dans de nombreuses expositions, en France et à l’étranger. Il sera également en résidence dans un atelier de verrier alsacien lui permettant d’expérimenter l’art du verre.
L’année 1978, date à laquelle Georges Visat ferme son atelier et quitte Paris, marque le terme de cette grande production d’images et c’est la sculpture qui devient le moyen d’expression privilégié de Haïm Kern. Cette production abondante, de terre et surtout de bronze, d’une grande créativité, évoluera à la fin des années 1990 vers la réalisation de silhouettes, qui prendront une place privilégiée dans les installations de l’artiste liées au souvenir de la Shoah.
Artiste touche-à-tout et accompli, Haïm Kern trouvera dans la sculpture un moyen d’expression qui le fera entrer parmi les plus brillants sculpteurs de sa génération. Plusieurs œuvres sont conservées dans les collections publiques françaises, telles que celles du musée d’art moderne de la Ville de Paris, le département des estampes de la Bibliothèque nationale de France et le Fonds national d’art contemporain.
La statue de François Mauriac (1885-1970), place Alphonse Deville, à Paris, demeure l’une de ses œuvres majeures. Elle est une commande publique de l’Etat pour le vingtième anniversaire de la mort de l’écrivain.
Statue de François Mauriac à Paris
Par ailleurs, de nombreuses collections à travers le monde conservent les sculptures de Haïm Kern, offertes par le président de la République François Mitterrand (21 mai 1981-17 mai 1995) dans le cadre des échanges diplomatiques de la France, dont l’œuvre Liberté, Egalité, Fraternité offerte à Nelson Mandela.
L’auteur de “Ils n’ont pas choisi leur sépulture“
Monument Haïm Kern au Chemin des Dames
Pour le quatre-vingtième anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, cinq artistes plasticiens ont été sollicités pour créer une œuvre destinée à commémorer cet anniversaire et à attirer l’attention sur les combattants disparus sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Haïm Kern propose une sculpture monumentale à l’orée du Chemin des Dames sur le plateau de Californie, en surplomb du village de Craonne. Son œuvre, intitulée Ils n’ont pas choisi leur sépulture est un bronze de 4 mètres de hauteur, représentant des têtes d’anonymes prises dans un maillage.
Le Département de l’Aisne a participé au financement de l’œuvre et son installation sur le site du Plateau de Californie. L’œuvre originale a été inaugurée le 5 novembre 1998 en présence du Premier ministre, Lionel Jospin, de la ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Trautmann et du secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, Jean-Pierre Masseret.
Associée au discours de Lionel Jospin dans lequel le Premier ministre se prononçait en faveur « d’une réintégration dans la mémoire collective nationale » des soldats « fusillés pour l’exemple », l’œuvre fut une première fois vandalisée puis restaurée en 1999. Cette œuvre devenue iconique de la mémoire du Chemin des Dames fut une nouvelle fois vandalisée et mise à terre en 2006. Restaurée une nouvelle fois, l’œuvre fut volée dans la nuit du 11 au 12 août 2014.
Inauguration en présence de François Hollande
Un acte inqualifiable qui conduisit l’Etat et le Département de l’Aisne a demander à l’artiste s’il pouvait réaliser une nouvelle œuvre. Afin de garantir sa sécurité, il fut choisi d’installer la nouvelle œuvre sur la terrasse de la Caverne du Dragon – Musée du Chemin des Dames. La nouvelle œuvre a été inaugurée le 16 avril 2017 par le président de la République, François Hollande, en présence de Lionel Jospin, ancien Premier ministre, qui ont également inauguré ce jour-là une « trace » de l’œuvre à son emplacement d’origine sur le plateau de Californie à Craonne, où fut chantée pour l’occasion la célèbre « Chanson de Craonne ».
Attaché au Département de l’Aisne depuis l’installation de son œuvre sur le Chemin des Dames, où il revenait régulièrement entretenant de nombreuses amitiés, l’artiste avait choisi de léguer son fonds d’atelier au Département de l’Aisne en 2010. Dans la donation de son fonds d’atelier, la production de Haïm Kern est représentée par 323 sculptures, 214 peintures et dessins, 151 estampes, 127 modèles en cire, 33 verres thermoformés, 12 installations et 10 résines de synthèse, complétée par plusieurs acquisitions. Ce fonds a été présenté dans plusieurs expositions, notamment dans celle intitulée « Du plateau de Californie à la Caverne du Dragon » à la Caverne du Dragon en 2012. La sculpture monumentale intitulée Liberté, provenant de la donation de l’artiste, installée dans la cour de la préfecture de l’Aisne depuis 2018, rappelle l’attachement profond de l’artiste pour les valeurs républicaines.
Inauguration de “Liberté“ oeuvre de Haïm Kern
La dernière exposition de l’artiste « D’hier à deux mains » fut présentée à Laon, à la Maison des Arts et Loisirs, d’octobre à décembre 2023, dans une sorte de rétrospective et de dialogue avec son amie et artiste Maÿlis Seydoux-Dumas. Un exemplaire de sa sculpture en bronze Liberté, Egalité, Fraternité sera présentée quant à elle dans le parcours permanent de la nouvelle Cité muséale qui doit ouvrir ses portes en 2024 à Château-Chinon dans la Nièvre.
Livre de condoléances pour Haim Kern
Nous garderons tous en mémoire le souvenir d’une personnalité attachante, pleine d’humour, profondément humaine et inspirant un immense respect pour sa vie personnelle et celle de l’artiste complet qu’il était. Haïm Kern est devenu au travers de l’histoire tragique entre la France et l’Allemagne, comme de son art de mémoire, le symbole de la réconciliation et de la fraternité entre les peuples.
Un livre de condoléances est installé à la Caverne du Dragon à la disposition de toute personne qui souhaiterait laisser un mot.