Publié le 13 aoû 2024 - Mis à jour le

27 août 1944, les fusillés de Fontaine-Notre-Dame

Les troupes alliées approchent durant l’été 1944, et la Résistance se prépare à passer à l’action dans l’arrondissement de Saint-Quentin. Le 27 août 1944, des groupes de résistants du Groupement A conduits par le capitaine Eugène Corrette se rendent à un parachutage pour y réceptionner des armes et des munitions quand ils tombent sur une colonne de soldats allemands en repli. Arrêtés, certains seront exécutés tandis que ceux qui suivent seront mitraillés dans leur camionnette en tentant de passer.

Les origines de la Résistance dans le Saint-Quentinois

Claude Mairesse

 

Dès 1942 quelques réseaux commencent à mener dans l’arrondissement de Saint-Quentin diverses actions de résistance comme la collecte de renseignements, la diffusion de tracts, les sabotages, la récupération et le camouflage d’armes, mais aussi l’aide aux aviateurs et aux prisonniers évadés de manière générale. Différents mouvements de résistance voient également le jour en parallèle, et le plus important se révèle rapidement être l’Organisation Civile et Militaire (O.C.M.), constituée sous l’impulsion du Docteur Claude Mairesse, alias « Haudroy ». Au début de l’année 1943, ce dernier charge Eugène Corrette, alias « Andrieux », de former des groupes de combat en vue de la Libération. Plusieurs groupes sont ainsi constitués sous la responsabilité de chefs de secteur, et le recrutement de volontaires se poursuit, ainsi que l’organisation de chaque secteur, qui participent à la réception et au transport d’armes vers des dépôts clandestins.

Le 1er février 1944, dans la perspective du débarquement allié et de la Libération du territoire métropolitain, le Comité Français de Libération Nationale appelle les réseaux à s’unir pour former les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) afin de parachever l’œuvre d’unification et de structuration de la résistance sur le plan militaire en différents groupements. Au mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont ainsi rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont ainsi constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry).

 

Eugène Corrette

 

Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanant du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise ainsi à renforcer l'efficacité de la résistance en vue de la Libération.

Le docteur Claude Mairesse ayant été arrêté le 5 avril 1944, transféré au camp de Compiègne puis déporté en Allemagne, l’homme nommé à la tête du Groupement A à l’approche de la Libération est Eugène Corrette (1891-1944) alors directeur d’école. Ancien combattant de la Grande Guerre ayant participé aux batailles de Guise, de Verdun et du Chemin des Dames, plusieurs fois cité et récipiendaire de la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur, c’est aussi un homme ayant l’expérience du commandement, mais qui connaît surtout très bien les différents secteurs qu’il a contribués à structurer, ainsi que leurs chefs.

 

 

 

Le secteur 146 des F.F.I.

Jean Absil dit "Ceylan"

 

La commune de Fontaine-Notre-Dame appartient, à l’aube du débarquement de Normandie, au secteur 146 des F.F.I. du Groupement A, avec à sa tête le lieutenant Jean Absil, alias « Ceylan » (1905-1975). Dès la fin de l’année 1942, ce dernier avait été pressenti pour prendre la tête d’un groupe de résistants dans le secteur d’Homblières, Marcy et Fontaine-Notre-Dame, et avait commencé à recruter des hommes et effectuer un transport d’armes entre Saint-Quentin et Marcy en avril 1943.

Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Dès le 5 juin 1944, de nombreux messages codés sont transmis à la Résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France ou encore le plan rouge, appelant à l’insurrection armée. Deux autres plans sont également mis à exécution, comme le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.

Dès juin 1944, les hommes du secteur 146 participent ainsi à la réception d’un parachutage d’armes sur le terrain « Cantine », situé à proximité de la ferme Méraulieu, au nord de Fieulaine, puis au transport et à la distribution des armes reçues au bois Minette à Homblières et jusque Saint-Quentin, en vue des opérations à venir. Dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent immédiatement à pied d’œuvre en application des différents plans prévus. Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie, et les hommes du lieutenant Absil sont particulièrement actifs en juin 1944, sabotant deux péniches à Fontaine-lès-Clercs, une péniche de ciment à Thenelles, des écluses à Sissy, des voies ferrées à Remaucourt et Fonsommes, un pont de chemin de fer à Essigny-le-Petit, des bétonneuses à Saint-Quentin, et participent même à l’évasion de Raymond Fiolet de l’hôpital de Saint-Quentin.

Entre juillet et août, les résistants du secteur 146 multiplient les actions de sabotage sur les lignes téléphoniques et les signalisations routières, ne manquant pas de semer des clous spéciaux sur les routes également, afin de perturber la circulation des troupes allemandes. Cela ne se fait pas sans pertes malheureusement. Les résistants Michel Renaux et Jules Sorriaux sont ainsi arrêtés par la Gestapo et déportés à Compiègne en juillet 1944, et le 1er août 1944, Jean Jacques Lernon est blessé mortellement d’une rafale de mitraillette au cours d’une action de sabotage près de la ferme Ledent à Saint-Quentin.

Le département de l’Aisne n’est cependant pas en première ligne et les moyens manquent rapidement, aussi il faut régulièrement que les résistants attendent des parachutages pour que l’action du groupement A soit relancée de manière plus prononcée à la fin du mois d’août 1944. L’espoir est alors immense de pouvoir contribuer à la Libération du territoire, alors que Paris vient d’être libérée. Le 26 août 1944, les résistants du Saint-Quentinois sont heureusement prévenus que des parachutages d’armes vont avoir lieu sur plusieurs terrains codés, ce que des messages confirment dès le 27 août en fin de matinée, en particulier le message « Félicitations Fontaine » qui confirme un parachutage sur le terrain « Cantine » dans la soirée : le secteur 146 allait recevoir des armes pour se battre. N’attendant que ce message, une poignée d’hommes menés par le capitaine Corrette partent de Saint-Quentin à bord d’une camionnette pour rejoindre les lieux du parachutage avant le couvre-feu.

Le drame de Fontaine-Notre-Dame

Cependant, l’Aisne est alors aussi le théâtre du repli des troupes allemandes devant la progression des troupes alliées, et nul ne peut alors prévoir qu’une unité allemande est sur le point de s’installer non loin du terrain de parachutage. En effet, le 27 août, vers 14h, un officier et des sous-officiers allemands arrivent à Fontaine-Notre-Dame pour y trouver un lieu de cantonnement pour la colonne en repli à laquelle ils ouvrent la route, et se fixent à la ferme Malin. Vers 16h-16h15, ils sont rejoints par le reste de leur colonne venant d’Homblières et ce sont bientôt plusieurs dizaines de soldats allemands qui s’activent pour installer leur cantonnement préparé dans les différentes fermes du village. La troupe s’installe alors notamment dans les bâtiments et dans la cour de la ferme Malin, postant des sentinelles jusque dans les fossés de la ferme, une mitrailleuse braquée en direction de la route d’Homblières.

Empruntant cette même route peu de temps après, le capitaine Corrette et ses hommes croisent trois jeunes cyclistes revenant d’Homblières à l’entrée de Fontaine-Notre-Dame. Ces jeunes hommes, Pierre Dupont, Henri Legrand et Savreux, les informent de la présence des quelques soldats allemands arrivés vers 14h dans le village et qu’ils avaient croisés quelques heures plus tôt. Ignorant que ces soldats avaient été rejoints entre temps par le reste de leur colonne, ils ne peuvent mettre en garde le capitaine Corrette et ses hommes, qui après avoir tergiversé pendant trois quarts d’heure sur la route à suivre, décident de traverser Fontaine-Notre-Dame, et la camionnette poursuit donc sa route.

Fourgon Citroën à Fontaine-Notre-Dame

Arrivés à hauteur de la ferme, la camionnette est arrêtée et fouillée par les Allemands, de même que Pierre Dupont et Henri Legrand qui avait suivi la camionnette à bicyclette. Des armes sont alors découvertes, et les résistants sont rapidement alignés le long du muret de l’abreuvoir Marolle, tandis qu’un side-car allemand équipé d’une mitrailleuse se positionne devant la ferme Marchandise. Quelques minutes plus tard, alors que le jour est en train de s’achever, une moto arrive à l’entrée du village, il s’agit de Jacques Braconnier et d’André Tabary, deux résistants qui aperçoivent des lumières dans le village. Prudents, ils continuent à pied puis voyant les soldats allemands sur le qui-vive, rebroussent chemin. C’est alors qu’ils croisent une seconde camionnette remplie elle-aussi de résistants qui se rendent au parachutage. Leurs signes pour leur indiquer de s’arrêter sont vains, et la camionnette continue sa route, tombant dans l’axe de tir de la mitrailleuse placée dans le fossé de la ferme Malin et du side-car installé devant la ferme Marchandise.

Quelques-uns des fusillés de Fontaine-Notre-Dame
Quelques-uns des fusillés de Fontaine-Notre-Dame
Quelques-uns des fusillés de Fontaine-Notre-Dame

 

A quelques dizaines de mètres de là, les soldats allemands achèvent les hommes qui ont été abattus, tandis qu’à 22h30, un officier allemand interpelle violemment M. Gabriel Courtois, président de la délégation spéciale du village, le tenant pour responsable de cet évènement. Vers 3h du matin il est renvoyé chez lui puis, convoqué à 8h, des officiers allemands lui ordonnent de s’occuper de l’ensevelissement des résistants fusillés, sans linceul ni cérémonie religieuse. Les habitants du quartier creusèrent alors une fosse au fond de laquelle furent alignés les 19 cadavres des résistants fusillés la veille, dont douze membres du secteur 146 :

  • Louis BACHY, 19 ans
  • Jean BUDNYK, 18 ans
  • Marcel BILLANCOURT, 24 ans
  • Charles CARLIER, 26 ans
  • Jacques CHAMPY, 18 ans
  • André CHANTEREAU, 20 ans
  • Eugène CORRETTE, 53 ans
  • Marcel DE WAEL, 22 ans
  • André DELORME, 20 ans
  • Pierre DUPONT, 21 ans
  • Paul DUVERGET, 38 ans
  • Aimé GOSSET, 27 ans
  • Robert HARLAY, 32 ans
  • Gabriel LAGUILLIEZ, 19 ans
  • Simon LANGLET, 34 ans
  • Henri LEGRAND, 21 ans
  • Lucien MARTIN, 31 ans
  • Marceau PION, 33 ans
  • Louis PLANCHON, 35 ans

Conclusion

Les corps des fusillés de Fontaine-Notre-Dame seront ensevelis dans le talus en face de la ferme Marchandise et un vicaire de la basilique viendra bénir la fosse le lendemain. Quant au parachutage qu’ils appelaient tant de leurs vœux et auquel ils ne purent jamais se rendre, il eut bien lieu, le groupe du BOA composé de quatre hommes conduits par Pierre Leporc étant venu, à vélo, de Saint-Quentin en passant par Fonsommes et Fieulaine. Les quatre membres de ce groupe chargés du balisage ainsi que de la réception des containers réceptionnèrent le parachutage et durent cacher les armes reçues, en pouvant les transporter le soir-même. Quelques jours plus tard, menés par Jean Absil et Eugène Meunier, les résistants survivants du secteur 146 continuèrent la lutte, perdant à nouveau deux de leurs camarades, Philibert Martinage et Guy Lorentz, qui seront tués le 2 septembre 1944 dans les combats pour la Libération de Saint-Quentin.

Plaque commémorative capitaine Corrette à
Saint-Quentin

 

La guerre terminée, les résistants d’hier reprirent le cours de leur vie, sans jamais pouvoir oublier cette période marquante, et contribuèrent à ce que la mémoire des fusillés de Fontaine-Notre-Dame ne soit pas oubliée en érigeant un monument en leur honneur. Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière ce monument, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 25 août 2024.