29 août 1944, la 3e division blindée américaine libère Soissons
Traversée par la Seconde Guerre mondiale, la ville de Soissons fut également au cœur des combats de la Libération les 28 et 29 août 1944, quand la 3rd Armored division de l’armée américaine y repousse les troupes allemandes aux côtés des Forces Françaises de l’Intérieur, avant de contribuer à la libération de tout le Département de l’Aisne.
En pointe du VIIe corps du major general J. Lawton Collins (1896-1987), qui lui-même appartient à la 1ère armée américaine du lieutenant general Courtney H. Hodges (1887-1966), c’est la 3rd Armored division qui se dirige vers Soissons le 28 août 1944 après avoir franchi la Seine dans la nuit du 25 au 26 août sur un pont de 165 mètres construit par le génie américain. Cette division, dont le surnom est Spearhead (Fer de Lance) est une division blindée de l’armée des Etats-Unis commandée par le major general Maurice Rose (1899-1945). Elle regroupe près de 16 000 hommes dont 232 chars au sein d’unités appelées « Combat Command » (l’équivalent d’une brigade interarmes), dans lesquelless se répartissent trois régiments principaux : le 32nd Armored regiment, le 33rd Armored regiment et le 36th Armored infantry regiment.
Créée en Louisiane en 1941, la 3rd Armored division fut transférée en Angleterre en septembre 1943 après deux années d’entraînement aux Etats-Unis. Le 24 juin 1944, elle débarque en Normandie à Omaha Beach et se trouve engagée dans la bataille de Saint-Lô où elle est durement éprouvée. Suivant la progression de la 1ère armée américaine, elle traverse la Mayenne, l’Orne, l’Eure-et-Loir jusqu’à atteindre le département de Seine-et-Oise le 26 août 1944 dans la soirée.
Le 27 août 1944, l’objectif pour le Combat Command A est de prendre Soissons tandis que le Combat Command B reçoit la mission de prendre Pont-Arcy : il faut franchir l’Aisne et y installer des têtes de pont. A la demande du major general J. Lawton Collins, un petit détachement de la 3rd Armored division sous le commandement du Captain Theodore Black est aussi envoyé en pointe vers Château-Thierry et y rencontre la 7th Armored division de la 3e armée américaine du lieutenant general George Smith Patton Jr. (1885-1945) qui remonte la Marne. Mais la marche vers Soissons n’est guère aisée, et dans la journée du 27 août la 3rd Armored division déplore la perte du sergent Carl Behle et du capitaine Burton W. Benz du 32nd Armored regiment, ainsi que le 1ère classe Charles F. Goldstone du 36th Armored infantry regiment.
La Libération de Soissons
Le 28 août 1944, les blindés et les équipages de la 3rd Armored division prennent donc la direction de Soissons avec pour objectif de franchir l’Aisne, ceci afin de continuer leur poursuite des troupes allemandes en repli depuis leur défaite de la poche de Falaise. A toute vitesse, les blindés américains font sauter les rares obstacles sur leur chemin et détruisent 3 chars Panther, 4 chars Panzer IV ainsi qu’un grand nombre de véhicules.
En fin d’après-midi, vers 17h45, les premiers obus des pièces autoportées de la 3rd Armored division tombent sur le quartier Saint-Christophe de Soissons où la canonnade dure jusque 18h15. Bientôt, au passage à niveau de la route de Paris, les premiers chars pénètrent dans la ville, pris à partie par quelques éléments de l’armée allemande restés en arrière pour couvrir le repli des troupes sur la rive droite de l’Aisne, et un camion et un char allemand sont détruits au milieu de l’avenue de Paris. A 18h55, les chars arrivent jusqu’à la place Saint-Christophe et la place de la République où des échanges de tir avec des pièces d’artillerie allemande ont lieu. Au cours de la journée, la 3rd Armored division perdra plusieurs de ses combattants : les soldats Oliver J. Cooper Sr. et Donald C. Dailey du 36th Armored regiment, ainsi que le 1ère classe Leonard A. Pelonero du 33rd Armored regiment.
A la tombée de la nuit, un char Tigre allemand arrive par la rue Saint-Christophe mais les obus des chars américains le manquent. Sans doute endommagé, le char allemand s’immobilise au bout du Mail où son équipage le saborde. Les ponts endommagés ou impraticables pour les chars américains, l’artillerie allemande repliée sur la rive droite de l’Aisne à Cuffies, Leury et Bucy-le-Long commence à pilonner les troupes américaines et les tirs continuent durant une grande partie de la nuit.
Au lever du jour, le 29 août, les résistants de Soissons ouvrent la route aux Américains en attaquant le quartier Saint-Vaast, perdant 4 hommes. L’un des ponts est alors soupçonné d’être endommagé, ce que le général Maurice Rose va lui-même vérifier malgré le danger (ayant l’habitude d’aller en première ligne), ce qui lui vaudra de recevoir la Distinguished Service Cross. A 11h30, les chars alliés peuvent enfin déboucher sur la place d’Alsace-Lorraine dans le quartier Saint-Vaast, achevant la libération de Soissons avant de progresser en direction de Crouy.
Consolider la tête de pont sur l’Aisne
L’Aisne traversée à Pommiers, Soissons, Villeneuve-Saint-Germain, Venizel et Pont-Arcy, l’objectif est désormais de sécuriser et consolider cette tête de pont sur l’Aisne. Les troupes américaines lancent alors des reconnaissances vers les villages alentour dans l’optique de reprendre la route vers Laon et vers la vallée de l’Aisne le lendemain. Prudent, le commandement américain déploie tous les éléments de reconnaissance de la division et du corps d’armée à sa disposition. A Vailly-sur-Aisne, une colonne légère du 4th cavalry reconnaissance squadron est prise sous les tirs allemands et le soldat Robert J. Whalen est tué au volant de sa jeep. Près du pont sur le canal, un monument rappelle aujourd’hui son sacrifice, et l’on compte également la perte du soldat Ernest R. Hart de la même unité le même jour.
Partout les routes sont encombrées de véhicules allemands détruits ou en flammes, mais si l’armée allemande est en plein repli, elle laisse toujours de petites unités pour couvrir sa retraite et ralentir la progression alliée. Ainsi, à l’entrée de Crouy, deux canons antichars détruisent deux chars américains avant d'être abandonnés par leurs servants. Aujourd’hui encore une plaque rappelle le sacrifice de Lewis R. Price et ses camarades qui furent ainsi tués le 29 août 1944. Les avions de la Luftwaffe ne sont pas non plus en reste pour harceler les colonnes blindées américaines. A 9h45, 40 chasseurs allemands FW-190 mitraillent en effet les colonnes du 32nd Armored regiment, suivis un quart d’heure plus tard par une formation de 7 chasseurs Me-109 et une autre de 8 chasseurs Me-109 au-dessus de Bourg-et-Comin. Pour couvrir les blindés, plus de 1 500 cartouches de calibre 50 sont tirées par le 486th Armored anti-aircraft battalion qui abattent plusieurs appareils allemands.
A Braine, un train allemand composé de 21 wagons plats (avec des chars de plusieurs modèles) et 9 voitures transportant des troupes, bloqué depuis deux jours à Sermoise par un sabotage, rebrousse chemin quand un résistant tire sur le conducteur allemand et l’abat. Immédiatement, le convoi stoppe et deux chars descendent ainsi que des éléments d’infanterie pour réprimer les résistants locaux responsables de cette escarmouche. En ce moment critique pour Braine qui risque d’être victime de représailles, une colonne de la 3rd Armored division arrive au niveau du train dont les wagons sont immédiatement mitraillés par les tirs des canons antiaériens quadruples de calibre 50 du 486th Armored anti-aircraft battalion, faisant exploser la chaudière de la locomotive (800 cartouches sont tirées). Une compagnie de chars est ainsi détruite, 40 soldats allemands tués et 70 sont faits prisonniers par les Forces Françaises de l’Intérieur. Plus tard dans la nuit, un deuxième train est découvert par les avant-gardes blindées du 32nd Armored regiment et du 54th Armored field artillery battalion qui le font stopper par leur feu, détruisant quatre chars Tigre encore sur leurs plates-formes.
Plus loin les résistants de Bourg-et-Comin s’assurent que les ponts sur l’Aisne et les canaux alentours soient préservés, permettant le passage des colonnes américaines en direction de Cerny-en-Laonnois et Guignicourt où vers 18h30, elles s’arrêtent pour bivouaquer tandis que le Quartier-Général de la 3rd Armored division s’installe à Sermoise. Les nombreux engagements de la journée ont néanmoins un coût humain, et le 29 août sera une journée très meurtrière pour la 3rd Armored division, car elle voit la disparition de 10 combattants : le soldat George Nagy du 83rd reconnaissance batallion, les soldats William G. Weyant, Peter Weber, John H. Wehry et le 1ère classe Ambrose J. Foley du 36th Armored infantry regiment, le soldat Arthur J. Van Cleck, le caporal Jessie C. Lambert et le caporal technicien de 5e grade Melvin E. Thiel du 32rd Armored regiment, et pour finir le caporal technicien de 5e grade Ray G. Patterson et le soldat Lewis R. Price du 33rd Armored regiment.
La progression vers le Laonnois et la Thiérache
Le 30 août 1944, les éléments de la 3rd Armored division chargés de garder les ponts sur l’Aisne sont relevés par la 1st Infantry division qui s’installe à Soissons avant de poursuivre elle-même sa progression dans les jours qui suivent. Le même jour, le 33rd Armored regiment du Combat Command B arrive à Laon à 19h, traverse la ville et établit des barrages routiers autour de la montagne couronnée. Ce jour-là, la 3rd Armored division ne déplore que la perte d’un homme, le soldat William D. Garrity du 83rd reconnaissance battalion. En fin de journée, le Quartier-Général de la 3rd Armored division s’installe à Braye-en-Laonnois, mais les jours suivants les combats reprendront pour libérer la Thiérache où des éléments de divisions Panzer-SS sont en particulier chargés de garder les ponts sur la Serre.
Le 31 août 1944 sera la journée la plus meurtrière pour la 3rd Armored division, qui voit tomber 12 de ses hommes : Le sergent-chef Joseph Horvath, le caporal technicien de 5e grade Maurice E. Clements, les caporaux Alexander Leoshko et George Miller, le 1ère classe William B. Robinson et les soldats Frank Ramirez, Bernard Berman et John E. Dindot du 33rd Armored regiment, le 1er lieutenant Fred D. Little et le 1ère classe Paul A. Bressler du 36th Armored infantry regiment, et enfin les soldats Thomas I. Edwards et Harry S. Hartenstine du 83rd reconnaissance battalion. La 3rd Armored division se déplacera ensuite à Montcornet puis La Capelle, les chars américains libérant Vervins et Hirson avant de gagner la Belgique.
Un monument pour se souvenir des libérateurs
Après un conflit qui fut marquant pour Soissons, l’arrivée de l’armée américaine le 28 août 1944 dans la soirée puis les combats menés le 29 août 1944 furent des évènements majeurs dans l’histoire de la ville et du département. Pourtant il est difficile de se souvenir alors que les traces des combats ont disparu et que le souvenir des combattants américains n’est plus perceptible dans le paysage de la vallée de l’Aisne.
En effet, les hommes de la 3rd Armored division qui furent tués durant l’été 1944 au cours de la Libération de l’Aisne furent pour certains rendus à leur famille et enterrés avec les honneurs militaires dans des cimetières civils aux Etats-Unis. Seuls les noms de ceux qui furent enterrés en France nous sont connus, et ils reposent aujourd’hui pour la plupart au sein du Epinal American Cemetery à Dinozé dans le département des Vosges ou dans le Henri-Chapelle America Cemetery à Hombourg en Belgique.
Néanmoins désireuse de rendre hommage à la 3rd Armored division qui l’avait libérée et aux combattants tombés au cours de la Libération, la ville de Soissons décida d’ériger une stèle en leur honneur à proximité de la place de l’Hôtel de Ville et de la rue Pétrot Labarre. Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, afin de valoriser l’histoire de la 3rd Armored division dans la Libération de Soissons et mettre en lumière cette stèle, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 20 septembre 2024.