Publié le 03 déc 2020 - Mis à jour le

Jean de La Fontaine

Le plus célèbre des fabulistes français est né à Château-Thierry, le 8 juillet 1621. Auteur de poèmes, de contes, de pièces de théâtre, ce sont principalement ses fables qui ont fait sa renommée. Reçu à l’Académie française en 1684, son œuvre est toujours considérée comme un des trésors de la littérature française. 335 écoles, collèges et lycées portent son nom, ce qui fait de l’illustre homme de lettres, le 14ème personnage le plus célébré par les établissements scolaires. 

L’homme de Château-Thierry

Jean de La Fontaine ne rompra jamais les attaches avec Château-Thierry, y gardant longtemps la maison héritée de son père ainsi qu’une charge de Maître des eaux et forêts. Une grande partie de sa vie ne sera en définitive qu’un inlassable aller-retour entre les bords de Seine et les bords de Marne, faisant dans un sens puis dans l’autre les 21 lieues, soit 100 km quasi tout rond, qui séparent ses deux pôles.

A bien y regarder, la jolie provinciale au bord de l’eau est omniprésente dans les écrits du fabuliste. C’est elle que l’on devine dans sa douce vallée entre plaines et forêts, dans sa campagne peuplée d’animaux sauvages ou domestiques, d’accortes laitières et de vieux barbons avares qui s’en vont aux champs pour que leurs jeunes épouses puissent enfin céder aux avances du Casanova local auquel notre poète s’identifie volontiers.

Aujourd’hui la maison natale est classée Monument historique, elle bénéficie de l’appellation Musée de France et du label Maisons des illustres. S’Il a subi quelques transformations notables, notamment à cause des réaménagements de la rue où il est situé, l’hôtel particulier a conservé l’essentiel de ses caractéristiques Renaissance.

Musée Jean de La Fontaine

Aux sources antiques

Jean de la Fontaine a écrit 240 fables. Mais aucune n’est de son invention.

En fait, ces apologues (histoire courte à portée moralisatrice) étaient connues de toute personne ayant reçu un peu d’instruction en grec ou en latin. Comme tous ses contemporains ayant fréquenté le collège, La Fontaine avait lu Phèdre, Socrate, Babrius, Avanius et bien entendu Esope, le premier d’entre eux, le père de toutes les fables. Il donne toutes les clés dans la préface de son premier recueil, suivie de « La vie d’Esope le phrygien » qui s’appuie sur un récit du XIIIe siècle du byzantin Maxime Planude.

L’homme du Grand siècle

Siècle de la magnificence incarnée par Louis XIV, le XVIIe est aussi le siècle des grands génies des arts et des lettres. Notre fabuliste y figure bien sûr en bonne place, au sein d’un cercle de frères de lettre qui se côtoient, s’apprécient ou s’affrontent dans les salons en vue comme celui de la Marquise de Sévigné.

Le plus proche, c’est indéniablement Racine, cousin par alliance de 17 ans son cadet et né du même terroir. Les deux hommes font plus que s’apprécier, ils s’admirent ! Se voient très régulièrement à Paris où ils aiment aller au théâtre et s’écrivent assidûment. Nicolas Boileau compte aussi parmi les proches de La Fontaine, réunis tous deux dans leur admiration des antiques dans la lutte qui oppose les anciens et les modernes et on ne saurait taire également, le respect réciproque entre La Fontaine et Molière. Les deux hommes se rencontrèrent plusieurs fois, notamment à Vaux-le-Vicomte, par l’entremise de leur mécène commun, Nicolas Fouquet.

Gravure Contes grivois Le Diable de Papafiguière

Coquineries en langue fleurie

On le sait bien, ce n’est pas l’histoire qui compte. C’est la façon de la raconter.

En la matière, Jean de La Fontaine est un cas d’école, tout particulièrement quand on s’intéresse aux “contes et nouvelles en vers“ dont le premier tome est publié en 1665. Ce sont ces histoires à faire rougir qui lui assurent ses premiers vrais succès littéraires.

Le principe de cette poésie licencieuse est de jouer sur l’implicite pour ne pas nommer frontalement des choses qui se rapportent aux amours charnels. Dans ces contes libertins, tout est dans le non-dit et le sous-entendu.

Aux circonvolutions poétiques se mêlent bien souvent la cocasserie des situations, la ruse des uns et la naïveté des autres. Dans le conte « Le diable de Papefiguière », par exemple, notre brave Perette fait fuir un diable juste en relevant ses jupes, lui montrant la profonde blessure que son mari lui a infligée avec une de ses terribles griffes. Ce diable si facilement épouvanté n’était pas beaucoup sorti de chez lui…

 

 

 

Eaux et forêts

Jean devait normalement hériter de la charge de Maître des eaux et forêts dont son père Charles avait lui-même hérité. Mais à 31 ans, ne sachant trop vers quelle activité se tourner après son droit, il juge opportun de l’acheter. L’investissement est conséquent mais permet en théorie de percevoir un tiers de la vente des bois ainsi que diverses commissions. Seulement voilà, cela demande qu’on y consacre le temps et l’énergie nécessaire. Inspections sur le terrain, lutte contre le braconnage, contrôle de la pêche, rendu des jugements lors des contentieux et interminables registres à tenir à jour, quel labeur !

C’est là qu’il faut rappeler le goût revendiqué et assumé de Jean de La Fontaine pour une certaine forme de paresse, lui qui avait rédigé son épitaphe en ces termes :

Jean s'en alla comme il était venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait passer
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.

Le Lion ete Rat par Grandville

Brocarder les puissants…sans en avoir l’air

Un auteur de ce temps sait bien que ses livres peuvent se voir interdits sur un mouvement d’humeur de la cour. Le droit d’auteur ou la propriété intellectuelle n’existaient pas, à moins d’avoir une fortune personnelle ou une charge rémunératrice, les gens de lettres devaient s’en remettre au mécénat. Difficile d’aller trop à rebrousse-poil dans ces conditions.

Pour autant, La Fontaine fut un courtisan un peu à part, plus attaché à sa liberté d’action et d’expression qu’à une volonté de paraître ou de s’enrichir. Il n’était certes pas dénué d’ambition, mais uniquement sur le plan artistique et littéraire.

 

Notre poète se plaît dans ses fables à croquer les travers, les bassesses et l’hypocrisie de ses contemporains, qu’ils soient savetiers, courtisans, ministres ou monarques. La figure du lion, qui renvoie à celle du roi, sera bien souvent tyrannique, cruelle, imbue d’elle-même et sottement sensible aux flatteries. Quant aux rats qui tiennent conseil, ne sont-ils pas de ces courtisans qui ne savent que tenir de beaux discours ?

Quant à la femme telle qu’elle apparaît dans ses écrits, il faut préciser que La Fontaine s’appuie sur des sources antérieures comme Boccace et d’autres auteurs du moyen âge chez qui une certaine misogynie est de rigueur. Un point de vue que le poète va parfois nuancer, mais pas toujours. Il en résulte que dans ses contes et nouvelles, la femme selon La Fontaine, c’est tout ou rien. Soit c’est une forteresse imprenable, un bloc de vertu qui ne cèdera au galant qu’au prix de ruses et de stratagèmes très élaborés, soit c’est tout l’inverse : insatiable, esclave de ses pulsions et n’ayant pas d’autres projets que l’adultère, dès que l’occasion se présente.

Pour le salut de son âme

Bon pied, bon œil, notre poète afficha une santé de fer jusqu’à l’âge honorable de 71 ans. Mais cet hiver-là, une langueur le prend et le garde au lit jusqu’au printemps. Il en revient changé, conscient que la mort est venue rôder bien près de lui. L’heure du jugement approche et il a peur. Un pêcheur, un pornographe de sa trempe peut-il échapper aux enfers ? Un jeune prêtre, l’abbé Pouget, vient au chevet de son âme et, à force de visites répétées, le persuade d’accomplir l’impensable pour se racheter. Brûler la pièce qu’il vient d’écrire, renier ses contes libertins, ne jamais les réimprimer, et le comble : rédiger une confession exhaustive de ses fautes et la lire à l’Académie française dont il est membre. La Fontaine tente bien de négocier mais, rongé par l’âge et la maladie, il cède et accepte de s’humilier publiquement. Au moment de son trépas, on découvrira également que sous son habit, il portait un cilice, cette chemise de fer qui entaille les chairs pour faire endurer une souffrance rédemptrice.