1940-1944, Nogent-l'Artaud dans la Seconde Guerre mondiale
Traversée par la Seconde Guerre mondiale, Nogent-l’Artaud est le théâtre des combats de 1940, durant lesquels l’armée française tente de ralentir l’armée allemande, avant de connaître quatre années d’occupation qui s’achèveront par la Libération, le 27 août 1944, par la 7e division blindée américaine épaulée par la Résistance locale.
Alors que débute le mois de juin 1940 sur les coteaux de la vallée de la Marne, l’armée française est aux prises avec l’armée allemande dans la vallée de l’Ailette et la vallée de l’Aisne où le front s’est stabilisé depuis le 18 mai tandis que de nombreux Axonais sont partis sur les routes de l’Exode. Partout dans le pays, le Grand Quartier Général de l’armée française tente alors de rediriger ses divisions de réserves pour les envoyer colmater ce front qui se reconstitue peu à peu et qui prendra le nom de « Ligne Weygand », du nom du général français qui remplace le général Gamelin. Le 18 mai, le 12e régiment étranger d’infanterie (REI), qui appartient à la 8e division d’infanterie, est ainsi débarqué à la gare de Nogent-l’Artaud en vue d’être dirigé sur le Soissonnais. Le journal de marche du sergent François de la 7e compagnie du 12e REI offre alors un témoignage poignant de l’état d’esprit qui règne alors :
Premières visions de réfugiés se dirigeant vers le sud et amenant avec eux ce qui leur semble être l’indispensable. Ces gens sont abattus. Pour beaucoup d’entre eux, c’est en 25 ans la deuxième triste odyssée, cette dernière aggravée par le harcèlement d’une aviation ennemie poursuivant les troupes françaises en retraite et mêlées en bien des cas aux civils fuyants. Premières visions aussi de petits groupes de soldats désarmés et conduits sous escorte vers l’arrière. Fuyards, rescapés, venant de Belgique peut-être, et que nos mines gaies exaspèrent. « Vous déchanterez lorsque vous serez là-haut. » nous crient-ils. Les réponses leurs parviennent immédiates et vertes car il nous en faut bien d’autres pour que notre régiment perde son optimisme. En traversant les bourgs et les villages, tous les habitants accourent sur le pas des portes, distribuant boisson et nourriture à ceux qui passent. En échange nous leur rendons l’espoir, un moment perdu à la vue de toute cette pauvre humanité, fuyant de toutes parts, vision aggravée par les propos moins réjouissants des soldats revenant du feu. LA LEGION. Ce nom ne résume-t-il pas toutes les vertus militaires ? Son passé n’est-il pas garant du présent, pour tous ces gens qui peut-être appréhenderaient de nous cantonner, mais qui sont prêts à mettre à notre actif les actions de guerre, les plus effarantes, inventées de toutes pièces mais vraisemblables, parce qu’il s’agit de la Légion et que cela leur donne un motif d’espérer. D’espérer que l’invasion ne viendra pas jusqu’à eux, que l’ennemi s’arrêtera là où nous serons.
Quelques jours plus tard, une autre unité française, la 27e division d’infanterie alpine (DIAlp), débarque à son tour dans les gares au sud-ouest de Château-Thierry, et cantonne le 25 mai entre Montreuil-aux-Lions, Château-Thierry et Nogent-l’Artaud dans l’attente d’être déployée vers le front. Le répit laissé par l’armée allemande aux troupes françaises n’est cependant que de courte durée, et du 5 au 9 juin, après avoir rassemblé ses forces, la Wehrmacht se lance à l’assaut des positions françaises de la ligne Weygand. Si les troupes françaises tentent durant deux jours de faire face avec l’énergie du désespoir, l’offensive allemande est irrésistible, et le front se déplace bientôt dans le sud du département de l’Aisne où débarquent le 9 juin la 238e division légère d’infanterie (DLI) à qui est confiée la défense de la Marne autour de Château-Thierry ainsi que la 41e division d’infanterie qui se voit confiée la défense du Clignon.
A partir du 10 juin, les maigres forces qui sont installées sur la Marne sont rejointes par ce qu’il reste de la 7e division d’infanterie (DI), déjà épuisée par les combats sur l’Ailette puis dans le Soissonnais, et qui reçoit l’ordre de préparer la défense de la rivière entre Pavant et Azy, tandis que plus au nord, la 41e DI résiste déjà farouchement aux attaques allemandes. Sur les ponts de Nogent-l’Artaud et aux abords de la commune s’installent alors les hommes du 102e régiment d’infanterie (RI), originaires de la Sarthe, avec pour seul soutien trois canons de 75 mm.
Le 11 juin 1940, les derniers éléments de la 7e DI sont mis à disposition de la 238e DLI tandis que les débris des divisions épuisées par les contre-attaques dans le Soissonnais et dans la vallée de l’Ourcq continuent de se replier vers le sud, à l’instar de la 27e DIAlp dont les troupes épuisées repassent la Marne aux ponts de Charly, Nogent-l’Artaud, Azy et Château-Thierry. Faisant face aux infiltrations allemandes qui rêvent d’atteindre la Marne et de la traverser, les éléments de la 7e DI et de la 238e DLI combattent durement durant toute la journée du 11 juin. Pendant ce temps, la 41e DI, supportant depuis la veille un combat inégal, reçoit l’ordre de se replier derrière la Marne dans la soirée, entre La Ferté-sous-Jouarre et Nogent-l’Artaud, la défense de Nogent-l’Artaud restant cependant à la charge de la 238e DLI. Durant la nuit, exténués par une journée de combat sans répit sous une chaleur intense, ce sont les hommes du 144e régiment d’infanterie alpine, originaires de la Côte d’Azur, qui vont devoir défendre Nogent-l’Artaud.
Le 12 juin aux premières lueurs du jour, les ponts qui n’ont pas été détruits sont dynamités tandis que vers 9h, les premières troupes allemandes paraissent sur les hauteurs dominant la Marne et les premiers obus s’abattent sur les positions françaises. Vers 11h, équipés de canots pneumatiques, les fantassins allemands réussissent à traverser la Marne et s’infiltrent dans les positions françaises vers Pavant et Nogent-l’Artaud. Débordées et par endroit encerclées, les troupes françaises tentent de défendre les rives de la Marne jusqu’en fin d’après-midi avant de se replier en combattant pied à pied dans la journée du 13 juin, mettant un point final à quatre semaines de combats intenses sur le sol axonais. Beaucoup d’hommes périrent au cours de ces combats, et 10 soldats « Morts pour la France », en grande partie tombés le 12 juin, périrent sur le territoire de la commune de Nogent-l’Artaud. Ils s’appelaient Fernand Camp (21 ans), Robert Delmas (35 ans), Gustave Desolme (26 ans), Maxime Hassid (24 ans), Jean Jobard (26 ans), Bernard Leguay (28 ans), Charles Michel (25 ans), Antoine Pavin (21 ans), Sylvain Rey (22 ans) ou encore Georges Bouvier (19 ans).
Les débuts de la Résistance dans le secteur de Nogent-l’Artaud
Le fracas des combats s’est à peine achevé que partout dans l’Aisne, quelques hommes et femmes entreprennent de récupérer les armes et les munitions que l’on peut encore glaner sur le champ de bataille. Peu à peu les premiers réseaux de résistance voient le jour en cachant des armes, en collectant des renseignements, en venant en aide aux prisonniers puis aux aviateurs évadés ou simplement par des actes de résistance plus discrets comme la diffusion de tracts. Les premiers chefs de la résistance du sud de l’Aisne se réunissent à partir de septembre 1941 à Château-Thierry afin d’organiser leur action. On compte alors parmi eux le député Paul Lambin, de Trélou, Octave Gebert de Beuvardes, Arthur et Maurice Penit de Château-Thierry, Jean Hury de Fossoy ou encore André Autiquet de Saint-Agnan.
Les premiers actes de sabotage constatés dans le sud de l’Aisne apparaissent au début de l’automne 1942 lorsque des locomotives sont détériorées au dépôt de Château-Thierry. En octobre 1942 des tracts sont diffusés de manière massive appelant au sabotage, et celui-ci se poursuit régulièrement avec la soustraction de coussinets de bielles de locomotive, le sabotage de vérins de levage ou encore de cylindres des locomotives. Le 7 mars 1943, une grande grève commémorative des fusillés de Châteaubriant a lieu au dépôt S.N.C.F. de Château-Thierry et un mois plus tard, des tracts sont à nouveau massivement diffusés appelant au sabotage et indiquant les moyens pour y parvenir. La diffusion de tracts et les sabotages au dépôt S.N.C.F. se succèdent ainsi jusqu’en janvier 1944. La Résistance voyant ses effectifs, son matériel et son expérience augmenter au fil des mois, d’autres sabotages auront lieu par la suite, comme celui de l’écluse d’Azy-sur-Marne qui est partiellement détruite par une équipe du lieutenant Gouel le 30 juillet 1943 puis à nouveau le 26 août 1943. Le 24 mars 1944, cette même écluse sera à nouveau la cible des résistants, ce qui permettra d’interrompre le trafic fluvial pendant 28 jours.
En parallèle à l’action locale de la Résistance, des actions très clandestines ont aussi lieu non loin de Nogent-l’Artaud. Les hauteurs dégagées qui surplombent les coteaux de la vallée de la Marne se révèlent être en effet des terrains propices aux opérations clandestines au profit de la Résistance. Ainsi, le 20 mai 1943 dans la soirée, après avoir entendu les messages « Le singe mange du savon » et « Le Barbier de Séville à Figaro » à la BBC, une équipe de résistants se dirige vers le terrain de parachutage « Girafe » situé sur les hauteurs de Romeny-sur-Marne, non loin de la ferme de Moucherelle. Celle-ci est conduite par le lieutenant Jean Ayral, chef du Bureau des Opérations Aériennes du Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A.) de la France Libre et futur Compagnon de la Libération. Quelques heures plus tard, un bombardier Halifax du No. 161 Squadron de la Royal Air Force largue 5 conteneurs de matériel, un paquet ainsi que Georges Lecot alias Drouot, agent du B.C.R.A. envoyé en France dans le cadre de la Mission Ted visant à améliorer l’organisation des services secrets de la France libre en zone nord.
Les Forces Françaises de l’Intérieur de Nogent-l’Artaud dans la Libération
A l’approche du printemps 1944, dans la perspective du débarquement allié et de la Libération du territoire métropolitain, le Comité Français de Libération Nationale appelle les réseaux à s’unir pour former les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.), ceci afin de parachever l’œuvre d’unification et de structuration de la Résistance sur le plan militaire en différents groupements. Au mois de mars 1944, les responsables de l’Armée Secrète (A.S.) de l’Aisne sont rassemblés à Saint-Quentin en présence du Délégué Militaire Régional (D.M.R.) Raymond Fassin (1914-1945) et du Délégué Militaire Départemental (D.M.D.) de Sarrazin, alias « Auvergne ». A l’issue de cette réunion, cinq groupements des F.F.I. sont constitués : le Groupement A (Arrondissement de Saint-Quentin), le Groupement B (Arrondissement de Laon), le Groupement C (Arrondissement de Vervins), le Groupement D (Arrondissement de Soissons) et le Groupement E (Arrondissement de Château-Thierry). Destinés à recevoir depuis Londres les ordres émanant du général Koenig, commandant en chef des F.F.I., et à les mettre en œuvre en synchronisation avec les plans alliés, ces groupements devront ainsi combiner l’action des groupes de résistance. Cette nouvelle organisation, qui assure notamment à tous les groupes de recevoir des armes, des munitions et du matériel le moment venu grâce à des parachutages que réceptionne le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.), vise ainsi à renforcer l'efficacité de la Résistance en vue de la Libération.
L’homme choisi pour prendre la tête du Groupement E est le capitaine F.F.I. Jean Pierron, alias Lapierre. Employé S.N.C.F. de 31 ans affilié au mouvement Libération-Nord, il prend ainsi la tête de toute la résistance du sud de l’Aisne, secondé par le lieutenant F.F.I. Abel Gouel, d’Essômes-sur-Marne. Afin de structurer l'action des F.F.I. pour la Libération, tout l’arrondissement de Château-Thierry est également découpé en une vingtaine de secteurs donc les chefs sont désignés au printemps 1944. Dans le secteur de Nogent-l’Artaud, le 5e secteur du Groupement E se constitue autour de l’aspirant Fernand Marteau, alias Leroux, résistant de 38 ans, et de son adjoint Jacques Bruyant, âgé de 22 ans, tous deux affiliés au mouvement Libération-Nord. Au moment de la Libération, il se compose d’après les archives du Service Historique de la Défense, de : Marius André, Robert Denis, Yvon Renault, Marc Meunier, Georges Angleraux, Pierre Agu, Raymond Beaufort, Marcel Clauman, Jacques fleury, Paul Laurent, Lucien Lemonnier, René Louchard, René Miron, René Menu, Pierre Menu, Denis Proffit, Jacques Thierry, Marius Thieffine, Yves Brezillon, René Conge, André Hardy, Jean Laurent, René Gobert, Mme Vannier, Veuve Laurent, Jean Berteney, Chatelain, Hiernard Marcel, Albert Meuriot, Henri Levêque, Marcel Lourdez, Maurice Breton, Henri Conge, Lanier, Corre, Lemarie.
Afin d’entraver au maximum le déploiement des réserves opérationnelles allemandes vers la Normandie où doit avoir lieu le débarquement, différents plans de mobilisation furent élaborés par le « Bloc Planning » du Bureau de Renseignement et d’Action de Londres (ex-B.C.R.A.), chargé de planifier en pratique la participation de la Résistance française dans le cadre de la stratégie alliée. Dès le 5 juin 1944, de nombreux messages codés sont transmis à la Résistance française sur les ondes de la B.B.C. à partir de 21h15. Parmi eux, différents messages en fonction des régions appellent à l’application immédiate du plan Vert, destiné à paralyser le réseau ferroviaire par une série de sabotages. Est également mis en application le plan Tortue, destiné à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France ou encore le plan rouge, appelant à l’insurrection armée. Deux autres plans sont également mis à exécution, comme le plan Violet qui prévoit le sabotage des lignes téléphoniques et le plan Bleu qui prévoit le sabotage des lignes à haute tension.
Dans le sud de l’Aisne comme dans le reste du département, dès l’annonce des messages de la B.B.C., les équipes de sabotages se mettent immédiatement à pied d’œuvre, neutralisant de nombreuses lignes téléphoniques et voies de chemin de fer selon les plans Vert et Violet. Tous les moyens sont bons pour ralentir l’acheminement des troupes allemandes vers la Normandie, et dans les jours qui précèdent l’arrivée des troupes américaines sur le territoire axonais, aux sabotages de voies ferrées et fluviales viennent s’ajouter le démontage de panneaux indicateurs routiers et la pose de crampons crève-pneus. Ainsi, le 25 juin 1944, l’équipe du lieutenant Gouel réussit à saboter l’écluse de Charly-sur-Marne, ce qui permet d’interrompre le trafic fluvial pendant 3 jours. Le 26 juin 1944, une équipe de F.F.I. conduite par le capitaine Pierron réussit à couper les câbles téléphoniques près de la Ferme de Paris à Coupru, ce qui occasionne l’interruption du trafic pendant 24 heures sur la ligne Paris-Strasbourg. Le 16 juillet 1944, l’ensemble des lignes téléphoniques sur toute la zone d’action du groupement E fait l’objet de sabotages. L’opération est renouvelée le 19 juillet 1944, le lieutenant Gouel et son équipe réussissant à saboter une ligne téléphonique entre la ferme de Paris et Montreuil-aux-Lions, occasionnant une interruption du trafic pendant près de 12 heures. Dans le même temps, la Résistance effectue de nombreux transports d’armes et de munitions afin que tous les secteurs soient équipés : le 22 juillet 1944, des armes sont ainsi convoyées de manière clandestine d’Essômes-sur-Marne jusque Nogentel, Chierry et Blesmes. Le 2 août, c’est par voie fluviale que des armes sont à nouveau envoyées d’Essômes-sur-Marne à Blesmes.
La 7e division blindée américaine libère la vallée de la Marne
Durant tout le mois d’août 1944, l’espoir de la Libération grandit et se renforce à mesure que les colonnes de véhicules allemands se replient vers l’Est à la fin du mois. Le 27 août dans l’après-midi, le contact est pris avec les avant-gardes alliées, et les 741 résistants du Groupement E des F.F.I. de l’Aisne participent aux opérations de patrouille et de nettoyage aux côtés des troupes américaines, faisant en quelques jours près de 637 prisonniers et capturant un important butin : 220 véhicules, récupération d’un train d’essence sous le tunnel de Chézy-sur-Marne, 300 chevaux, de nombreuses armes et des munitions sont également remises aux autorités militaires. Mais l’action de la Résistance ne serait rien sans l’intervention des troupes américaines, et en particulier celles de la 7th US Armored Division du Major-Général Lindsay McDonald Silvester (1889-1963). Après avoir traversé la Seine à Melun, cette division blindée américaine est en effet en train de progresser vers le nord en direction de la vallée de la Marne. Le 27 août dans la matinée, le Combat Command A (CCA) du colonel Dwight A. Rosenbaum a reçu l’ordre de faire mouvement vers Château-Thierry en trois colonnes comprenant chacune des chars, des tanks destroyers, de l’artillerie, de l’infanterie et du génie tandis que le Combat Command B (CCB), à sa droite, progresse vers l’Est de Château-Thierry afin d’y établir des ponts. Venue de Sablonnières, c’est la colonne F du CCA commandée par le lieutenant-colonel Edward T. Mc Connell, qui entre dans Nogent-l’Artaud vers 16h. Sur leur route, ces hommes ont rencontré quelques îlots de résistance destinés à ralentir leur progression et couvrir le repli des forces qu’il reste encore à la Wehrmacht, notamment à l’intersection de la RD1 et de la RD933, où une colonne d'artillerie allemande est même surprise et détruite. Néanmoins leur avance est fulgurante, et ils ont pu capturer dans la journée un équipement allemand considérable, détruit trois canons de 155 mm, trois véhicules chenillés, cinq chars et capturé près de 70 prisonniers.
Les hommes et les véhicules qui arrivent dans les rues de Nogent-l’Artaud en cette fin d’après-midi sont ceux du 40th Tank Bataillon, de la compagnie A du 48th Armored Infantry Battalion, de la compagnie C du 489th Armored Field Artillery Battalion, de la 3e section de la compagnie A du 814th Tank Destroyer Battalion et de la 3e section de la compagnie A du 33rd Armored Engineer Bataillon. Cette puissante colonne pénètre cependant avec prudence dans les rues de Nogent-l’Artaud, où des unités allemandes peuvent être restées en embuscade. Durant toute la journée, un char allemand Tigre a en effet effectué plusieurs trajets entre le square La Bédoyère près de la gare, et la rue du Crochet, en direction de Chézy-sur-Marne, à la recherche d’une pièce mécanique égarée qu’un Nogentais avait eu la présence d’esprit de dissimuler. A l’approche des premiers chars Sherman, ce char Tigre avait traversé la Marne en direction de Saulchery et s’était adossé au café « La Terrasse » afin de détruire tous les véhicules qui franchiraient le pont.
Fort heureusement pour les libérateurs de Nogent-l’Artaud, une institutrice en retraite qui parlait anglais, Mme Papuchon, accompagnée de sa fille, avaient vu le char Tigre se positionner à Saulchery, et elles préviennent immédiatement les équipages des premiers chars américains du danger qu’ils encourent, et leur conseillent de prendre la direction de Chézy-sur-Marne afin d’atteindre Château-Thierry par la rive gauche de la Marne. C’est ainsi que la colonne F du CCA de la 7th US Armored Division pu reprendre sa progression, non sans avoir envoyé quelques obus sur Saulchery afin d’entraver le repli des troupes allemandes sur la rive droite.
Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale à Nogent-l’Artaud
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Nogent-l’Artaud se remémore son histoire et compte aussi ses morts : Maurice Deloutre, décédé de maladie durant la « drôle de guerre » le 5 janvier 1940, Marcel Christmann du 15e groupe de reconnaissance de division d’infanterie, tombé le 9 juin 1940 à Reims et Raymond Fenix du 22e bataillon d’ouvriers d’artillerie, tombé le 14 juin 1940 à l’Isle-Jourdain. Cette guerre a également ses victimes civiles tombées durant l’Exode et inscrites sur le monument aux morts de la commune, comme Zélie Finix, décédée lors de la destruction du pont de Gien le 14 juin 1940, Léone Herbette, tuée le 15 juin 1940, Armande, Francine et Rolande Paudière, tuées le 17 juin 1940 à Vierzon, Lucie Ricada, tuée le 16 juin 1940 à Argent-sur-Sauldre, ou encore Jean Pierret et Roger Jacquet.
L’occupation verra aussi la commune touchée par la répression et la barbarie nazie, et une stèle à la mémoire de trois hommes honore leur mémoire dans le jardin de la mairie de Nogent-l’Artaud : Pierre Bazin, Raymond Brayer et Isaac Draï. Le premier, Pierre Bazin (1919-1944), né le 3 mai 1919, est un jeune marin de la base de Toulon en 1940 quand il rejoint la Résistance et fournit des renseignements aux Alliés. Ses informations permettront en 1942 la destruction de la centrale électrique de l’arsenal de Toulon par les Anglais mais dénoncé et arrêté, il est détenu à la prison de Fresnes puis déporté le 22 novembre 1943 vers Buchenwald puis Natzwiller-Struthof. Evacué vers Bergen-Belsen, il y trouvera la mort le 23 avril 1944. Le second résistant Nogentais honoré par cette stèle est Raymond Brayer (1905-1945), né à Nogent-l’Artaud le 31 décembre 1905. Réfugié à Aubigny-sur-Nère, celui-ci aidera la Résistance par des transports clandestins mais sera dénoncé, arrêté et emprisonné au camp de Royallieu d’où il sera déporté le 28 juillet 1944 pour le camp de Neuengamme. Il y meurt en déportation le 2 février 1945 et son corps repose depuis 1955 au cimetière de Nogent-l’Artaud. La commune ne sera pas non plus exempte de victimes de la Shoah, puisque le troisième nom porté est celui de Isaac Draï (1898-1944), boucher casher polonais installé dans le XVe arr. de Paris, et qui était venu se réfugier à Nogent-l’Artaud durant l’occupation. Dénoncé puis arrêté, il sera interné à Drancy du 19 janvier au 2 février 1944 avant d’être déporté pour Auschwitz.
Les combats pour la Libération ont aussi vu d’autres Nogentais périr : Eugène Bertaux du 1er régiment de tirailleurs marocains, tué le 11 mai 1944 en Italie, Charles Bally du 5e régiment de tirailleurs marocains, tué le 5 septembre 1944 non loin de Sienne, ou encore Marcel Claus du 2e bataillon du régiment de marche du Tchad, tué le 23 novembre 1944 à Mittelhausbergen tandis que la 2e division blindée du général Leclerc accomplissait le serment de Koufra.
Après un conflit qui fut marquant pour Nogent-l’Artaud, l’arrivée de l’armée américaine le 27 août 1944 fut un évènement libérateur et afin de se souvenir de cette histoire, la commune a souhaité ériger un monument au carrefour de la Libération, qui rappelle le passage de la 7th US Armored Division à Nogent-l’Artaud et à travers cette histoire, la mémoire des hommes qui ont œuvré pour qu’elle s’accomplisse. Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, et afin de valoriser l’histoire de Nogent-l’Artaud et mettre en lumière cette stèle, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 27 août 2024.