Encore sous le choc de la confrontation avec les armées allemandes sur les frontières, les armées françaises sont en pleine retraite alors que s’achève le mois d’août 1914. Repliée dans l’Aisne et isolée en pointe du dispositif des armées françaises, la 5e armée du général Lanrezac doit faire face le 29 août 1914 à la 2e armée allemande près de Guise, tout en obéissant à l’ordre d’attaquer en direction de Saint-Quentin.
Au cœur de l’été 1914, les armées françaises tentent de faire face aux armées allemandes qui appliquent le plan Schlieffen à travers la Belgique et le nord de la France. Confrontées à Charleroi et Mons à la 1ère armée allemande du général Von Kluck et à la 2e armée allemande du général Von Bülow, la 5e armée française du général Lanrezac et le Corps expéditionnaire britannique du maréchal French, qui forment l’aile gauche des forces alliées, ont été contraints de se replier vers le sud sous une chaleur accablante. Le 26 août, alors que les troupes britanniques sont à nouveau violemment attaquées par la 1ère armée allemande au Cateau-Cambrésis, la 5e armée française reçoit l’ordre du général Joffre, commandant en chef des armées françaises, de rompre le contact avec les forces allemandes qui lui font face, et de se replier sur le Laonnois. Préparant ce mouvement, le général Lanrezac ordonne donc immédiatement à ses troupes qui font alors mouvement à travers la Thiérache de se diriger vers la vallée de l’Oise, où des arrière-gardes seront laissées tandis que l’ensemble des troupes se replieront vers le sud.
Néanmoins, le général Lanrezac est conscient qu’après avoir quitté le bocage de la Thiérache, la 5e armée va désormais évoluer sur de larges plateaux découverts entre les vallées de l’Oise et de la Serre, plus propices à la manœuvre, et où une bataille d’arrêt peut être livrée face à la 2e armée allemande qui la poursuit depuis la Belgique. Il fait part de sa volonté au général Joffre dès le 25 août, et ce dernier lui répond deux jours plus tard, que non seulement il autorise l’offensive projetée par la 5e armée dans la région de Vervins, mais encore qu’il estime cette attaque indispensable. Par conséquent, le 27 août dans la soirée, le général Lanrezac ordonne à ses quatre corps d’armées d’occuper les plateaux qui dominent le sud de l’Oise et du Ton en vue de l’affrontement, mais un nouveau message du Grand Quartier Général des armées françaises (GQG) va tout venir bouleverser.
Préparer la bataille
Persuadé que la 2e armée allemande qui fait face à la 5e armée française ne représente pas une menace, et que l’état-major allemand a sans doute laissé deux corps d’armée devant Maubeuge assiégée, l’état-major du général Joffre considère au soir du 27 août qu’il est plus pertinent que la 5e armée français lance une offensive en direction de Saint-Quentin vers l’Ouest, afin de combattre les arrières de la 1ère armée allemande, qui fait reculer depuis plusieurs jours le Corps expéditionnaire britannique, et ainsi soulager la retraite de ce dernier. Les directives du général Joffre sont audacieuses, car un succès face à deux armées allemandes attirées par cette menace et contraintes d’y faire face pourrait ralentir voire compromettre l’ensemble des plans allemands. Par ailleurs, la 5e armée devrait progresser sans soutien sur sa gauche, puisque le maréchal French annonce rapidement au général Lanrezac que les troupes anglaises ont besoin de repos et ne prendront pas part à l'attaque.
Les ordres reçus du général Joffre indiquant d’attaquer en direction de l’Ouest alors que toutes les dispositions pour attaquer au Nord étaient déjà prises sont pour le moins difficiles à mettre en place en 24 heures, mais le 28 août, le général Lanrezac ordonne au 18e corps d’armée de se préparer à attaquer en direction de Saint-Quentin, tandis que le 3e corps d’armée devra l’épauler sur sa droite. Ainsi, malgré les ordres reçus d’engager toutes les forces disponibles en direction de Saint-Quentin, le général Lanrezac, lucide sur les forces allemandes qui vont lui faire face dans la vallée de l’Oise en amont de Guise, décide délibérément de laisser le 1er et le 10e corps d’armée sur leurs emplacements, tout en obéissant aux ordres qu’il reçoit.
Mais entre 12h et 13h, alors que le 18e corps d’armée fait mouvement pour s’installer vers l’Ouest en vue de marcher sur Saint-Quentin le lendemain, profitant du brouillard, des colonnes allemandes attaquent Guise et les passages sur l’Oise à l’Est de la ville à Flavigny-le-Grand, Monceau-sur-Oise et Proisy, bousculant les unités françaises qui en avaient la garde. Le général commandant la 35e division d’infanterie – qui fait partie du 18e corps d’armée – décide immédiatement, et sans ordres, de contre-attaquer les Hanovriens de la 19e division qui font face à ses troupes au sud de Guise, et qui progressent en direction de la route Guise-Le Hérie-la-Viéville. Rejoint par les gros des 3e et 10e corps d’armée qui se déploient alors entre Guise et Vervins, la situation peut être rétablie, mais en fin de journée, soucieux d’obéir au général Joffre malgré les évènements de l’après-midi, le général Lanrezac communique un nouvel ordre général aux unités de la 5e armée française pour les informer qu’une attaque sera lancée le lendemain en direction de Saint-Quentin, tandis que la 35e division d’infanterie reçoit l’ordre de rompre le combat et de se replier.
Lancer l’offensive en direction de Saint-Quentin
Le 29 août à l’aube, en exécution des ordres reçus, le 18e corps d’armée attaque en direction d’Homblières pour menacer la gauche de la 1ère armée allemande. La situation aux yeux du GQG est alors alarmante, car la 1ère armée allemande est signalée comme ayant déjà traversé la Somme près de Péronne. Après avoir franchi l’Oise à Ribemont et Séry-lès-Mézières à 6h du matin, des reconnaissances de cavalerie sont poussées sur la rive droite au nord et au sud de Saint-Quentin, afin de rechercher où se trouvent les troupes allemandes dans cette région.
Toutefois la situation évolue dans la matinée le 29 août : le 3e corps d’armée qui devait épauler la droite de l’attaque du 18e corps d’armée doit, comme depuis la veille au soir, faire face dès 10h45 aux troupes allemandes qui traversent l’Oise entre Guise et Autreppes à la faveur du brouillard, et ne parvient pas à progresser en même temps à l’Ouest pour soutenir le 18e corps d’armée. Par ailleurs, il apparaît très rapidement que dans la vallée de l’Oise ce ne sont pas quelques faibles éléments de la 2e armée allemande qui font face au 3e et au 10e corps d’armée français comme le GQG le pense, mais en réalité le 10e corps d’armée de réserve, le 10e corps d’armée et le redoutable Corps d’armée de la Garde prussienne.
La 5e armée française, si elle ne veut pas disparaître, va désormais devoir contre-attaquer les corps d’armée allemandes, et non plus attaquer en direction de Saint-Quentin. Par conséquent, déjà refoulé d’Itancourt par des éléments du 7e corps d’armée de la 1ère armée allemande et du 10e corps de réserve de la 2e armée allemande, et ne pouvant attaquer seul vers Saint-Quentin, le 18e corps d’armée se replie en fin d’après-midi et repasse l’Oise : la bataille va désormais se jouer entre Guise et Vervins.
Faire face à l’attaque allemande
Le 29 août 1914 en milieu de journée, la bataille qui avait commencé près de Guise la veille prend désormais une véritable ampleur. Le brouillard s’est levé et le 3e corps d’armée, qui fait face aux 10e corps et au 10e corps de réserve allemands, reçoit l’ordre de tenir coûte que coûte, tandis qu’à sa droite le 10e corps d’armée français doit également faire face au corps d’armée de la Garde à Colonfay et Sains-Richaumont. Entre 10h et 12h, le village de LeSourd est ainsi pris et repris à trois reprises tandis que les canons de 75 mm de l’artillerie française et les tirs d’infanterie mettent à mal la 1ère division de la Garde prussienne qui progresse malgré tout sur Colonfay.
Le général Lanrezac décide dès 13h d’engager sa seule réserve, le 1er corps d’armée, qui doit s’intercaler entre le 3e et le 10e corps d’armée, ces trois corps rassemblés recevant l’ordre de rejeter dans l’Oise les forces allemandes. Pendant ce temps, à l’extrême-droite du dispositif français, la 51e division d’infanterie de réserve et la 4e division de cavalerie devront tenter d’attaquer le flanc gauche de l’armée allemande.
Représentation héroïque de la progression du 1er régiment à pied de la Garde à Colonfay
Durant toute l’après-midi, les combats sont des plus violents sous une chaleur toujours très dure. Afin d’apaiser leur soif, on voit même des soldats mâcher des feuilles de betteraves au milieu des champs où ils se battent. Face à la Garde prussienne, le 10e corps d’armée résiste, recule et s’accroche autour de Sains-Richaumont. Dès 15h, le 3e corps d’armée attaque en direction de Jonqueuse tandis que le 1er corps d’armée engage une division en direction d’Audigny et une autre division sur Colonfay aux côtés du 10e corps d’armée.
A 17h30, l’ensemble du 1er corps d’armée passe à la contre-offensive générale aux côtés des 3e et 10e corps d’armée, ce qui achève de contraindre les troupes allemandes à stopper leur offensive. Seule la tombée de la nuit arrête la progression des troupes françaises, qui tiennent le nord du bois de Bertaignemont, Clanlieu, Le Sourd, et ont repris à l’armée allemande Puisieux, Colonfay et Voulpaix.
Alors que le jour se couche sur la journée du 29 août, les soldats des deux camps sont éreintés et les états-majors français et allemands se proclament vainqueurs de part et d’autre. Dans les faits, les troupes de la 5e armée française ont enrayé l’offensive de la 2e armée allemande sur l’Oise, et le général Lanrezac, conscient de ce succès, ordonne pour le lendemain au 18e corps d’armée de tenir l’Oise de La Fère à Brissy-Hamégicourt, tandis que les autres corps d’armée devront achever de repousser les dernières troupes allemandes encore au sud de l’Oise.
Epilogue d’une bataille oubliée
Soldats blessés dans la cour du Familistère de Guise
Succès tactique et stratégique d’un jour, la bataille de Guise a certes permis de bloquer l’avance des armées allemandes, mais les troupes françaises restent en infériorité numérique et dès le 30 août, isolée sur l’Oise, la 5e armée française est cependant dans une situation périlleuse : face à elle la 2e armée allemande s’apprête à reprendre son effort vers le sud, mais elle peut désormais être soutenue à sa droite par la 1ère armée allemande qui, alertée par les combats de la veille, peut se rabattre en direction de Laon et interdire tout repli à la 5e armée française, même si cela doit fausser la manœuvre prévue par le haut-commandement de l’armée allemande.
A l’aube du 30 août, ayant reçu l’ordre du général Joffre de rompre le combat et de se replier sur la Serre, le général Lanrezac transmet donc de nouveaux ordres à ses unités alors que celles-ci, conformément aux ordres de la veille, commençaient déjà à reprendre l’offensive au lever du jour. Le 31 août dans la matinée, la 5e armée dans son intégralité était repliée derrière la Serre.
Malgré la fatigue des combats et des marches, les soldats français exécutèrent à nouveau un repli qui les mèneront quelques jours plus tard jusqu’à la bataille de la Marne puis aux contreforts du Chemin des Dames, où ces hommes allaient connaître la guerre des tranchées et les multiples batailles qui se joueront dans le département de l’Aisne jusqu’en 1918. Cela se fera cependant sans le général Lanrezac. Soupçonné de critiques envers le GQG et d’une mésentente profonde avec le maréchal French, il est relevé de son commandement le 3 septembre 1914 par le général Joffre, officiellement pour avoir été trop hésitant et indécis dans la conduite des opérations, et se voit remplacé par le général Franchet D’Esperey.
Un monument pour se souvenir de la 5e armée et de son chef
Le monument de la 5e armée française, souvent également nommé « Monument Lanrezac » en hommage au chef de cette unité, sera réalisé à l’initiative de la ville de Guise, et inauguré le 28 avril 1929 en présence de nombreuses personnalités militaires et politiques, dont Paul Doumer, alors président du Sénat, le général Debeney, chef d’état-major général de l’armée française, représentant le ministre de la Guerre, et le général Hély d’Oissel, ancien chef d’état-major de la 5e armée, qui fit le récit de la bataille de Guise. Sur ce vaste mur, le général Lanrezac est mis à l’honneur ainsi que son état-major, en particulier car la mémoire de la bataille de Guise s’est construite en parallèle à l’œuvre de réhabilitation de la mémoire du général Lanrezac par ses proches.
Entre le 4 août et le 4 septembre 1914, 4 969 hommes sont « Morts pour la France » dans le département de l’Aisne, principalement au cours des combats de la bataille de Guise. Les pertes allemandes s’élevèrent quant à elles à près de 6 000 tués et blessés. Aujourd’hui, au-delà de la symbolique mémorielle rattachée à un homme, le général Lanrezac, il est aussi important de se souvenir des milliers de morts de cette bataille, quelle que soit leur nationalité, pour que ce monument de la 5e armée française, qui mentionne également les régiments qui constituaient la 5e armée française, soit un véritable lieu de mémoire de la bataille de Guise.
La nécropole militaire de la Désolation à Guise
Comme une volonté de rassembler en paix les soldats tombés pour leurs pays, l’armée allemande entrepris de 1915 à 1916 d’offrir une sépulture aux morts de la bataille de Guise, et les combattants français et allemands qui tombèrent au cours des combats du 28 au 30 août 1914 reposent aujourd’hui dans les cimetières militaires de la Désolation à Flavigny-le-Petit, de Mennevret, d’Origny-Sainte-Benoîte ou encore à la nécropole militaire de Lemé-Le Sourd, inscrite depuis 2023 au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le cimetière militaire de Lemé-Le Sourd
Dans le cadre des commémorations du 110e anniversaire de la Première Guerre mondiale, afin de valoriser cette histoire et mettre en lumière ce monument qui honore les hommes de la 5e armée française qui ont combattu en août 1914 dans l’Aisne, une borne du réseau départemental « Aisne Terre de Mémoire » a été inaugurée en ce lieu le 1er septembre 2024.